Je me souviens d’un matin d’automne lumineux où je me trouvais assis seul au bord du lac Manasarovar, que l’on appelle également lac de Turquoise ou encore lac de l’Éternelle Fraîcheur. Situé à 4600 m d’altitude, il est bordé au Nord par la montagne sacrée du Kailash, et au Sud par le Gurla Mandhata qui s’élève à 7700 m. Le ciel était d’un bleu intense et la luminosité presque aveuglante. Soudain, j’entendis clairement les appels d’un couple de canards écarlates. Je scrutai les alentours sans pouvoir les localiser. Je finis par les apercevoir, flottant paisiblement à 200 m du rivage. Le silence était si parfait que leurs cris s’étaient propagés à la surface du lac, me parvenant sans que diminuât leur intensité. Je demeurais quelques instants en méditation, face à l’immensité de ce paysage sublime. Je pris conscience que la méditation se trouvait tout aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur, et que l’espace immense du ciel et de la surface du lac se mêlait indissociablement avec l’espace intérieur de la pure conscience. Je me remémorai alors l’enseignement du grand yogi Shabkar, écrit sur les rives de ce même lac au début du XVIIIème siècle. « Un jour, raconte-t-il, alors que je me reposais sur la rive du lac, je connus une liberté exempte de tout objet de concentration, un état clair, vaste et ouvert. » Cette expérience lui inspira ce chant spirituel :
La source des phénomènes du samsara et du nirvana
Est la véritable nature de l’esprit :
Infinitude, resplendissement vide,
Libre de tout attachement à la réalité.
Cela, je l’ai reconnu.
Lorsque je me fonds en cette vastitude
Claire et vide,
Sans fin, sans limites,
Esprit et ciel ne font plus qu’un.
En cette dimension de lumière,
L’effort est inutile,
Tout advient de soi-même,
Naturellement, sereinement.
Joie absolue !
La compassion envers les êtres,
Mes mères d’antan, fusa du tréfonds de moi ;
Ce ne sont pas vains mots :
Désormais, je me consacrerai au bien d’autrui !
Visages de paix, Terres de sérénité, Matthieu Ricard
Editions de la Martinière